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Le vocabulaire utile

Un autiste • oct. 14, 2022
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Temps estimé de la lecture : 10 minutes.

Est-ce que le vocabulaire français lié à la santé est mauvais ?

L’ignorance et la tromperie sont la cause de biens des maux.

   Jouer avec les mots ?

Pour faire de la musique, un poème, ou un divertissement, le jeu de mots est souvent apprécié. On malmène un mot ou sa définition pour le rendre amusant. Mais ce n’est pas le cas ici. En France, le vocabulaire concernant la santé est subi : Effet Golem, maltraitance institutionnelle, aide-inadapté (exemple 1, 2, 3, 4, 5, 6), etc. Une mauvaise désignation, un mauvais diagnostic, un vocabulaire trompeur ou méprisant créent des problèmes. Alors ce sujet est tout sauf un jeu.

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   Déjà vu

Le vocabulaire concernant la santé est problématique, oui. Cela a été vu dans l’article "Qu’est-ce que l’autisme ?". Par exemple, avec la mauvaise traduction de « International Classification of Diseases » en « Classification internationale des maladies ». Le mot anglais "diseases" a été mal traduit en français, car il ne veut pas dire "maladies", mais "désaises". Autre exemple avec "disorder". « Mental disorders » du DSM s’est vu traduire par « troubles mentaux », alors qu’en réalité le DSM évoque bien plus de sujets que celui des troubles mentaux. Le site autistes.fr a d’ailleurs conclu de cette traduction :

« Les médecins français, les francophones, les Français, qui ont traduit et qui emploient “Trouble(s)” etc., pour rendre le terme anglais “Disorder”, sont des malfaisants, dans la lignée de l’eugénisme du xixe s., époque-source à ce propos ».

Quant à l’article "L’autisme en France ?", il rappelle que la France entretient toujours un vocabulaire arriéré et pathologique comme « autisme léger/lourd », « autisme de haut/bas niveau » ou « autisme profond/superficiel ». Dans ces exemples, l’autisme est confondu avec un handicap mental (ou déshabilité intellectuelle). Alors que plusieurs études révèlent que l’expression la plus commune de l’autisme n’est pas associée à une déshabilité intellectuelle. La CIM-11 tient en compte ce fait en précisant les différents troubles du spectre de l’autisme comme avec : «_6A02.5 Trouble du spectre de l’autisme avec trouble du développement intellectuel et absence de langage fonctionnel_», qui n’est pas « autisme profond ». De la même manière qu’il ne viendrait à l’esprit de personne de parler d’un "aveugle profond" pour évoquer une personne non voyante présentant un trouble du développement intellectuel. Et pourtant, pour les autistes, ces confusions arrivent malheureusement encore. Cet article s’intéressera donc à ce genre de mots incorrects du vocabulaire français.

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   Un vocabulaire détourné

L’enseignant et formateur Jean Yves Le Capitaine développe ce qu’incarne le vocabulaire du handicap en France.

« L’expression "situation de handicap" est devenue familière, en particulier dans le monde professionnel, où elle semble être utilisée de plus en plus systématiquement. Mais, lorsqu’on observe de près son utilisation, on s’aperçoit que le sens de l’expression a été dévoyé, et bien souvent elle désigne ou qualifie des représentations, des pensées et des pratiques qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’approche anthropologique et écosystémique qui avait produit cette expression. C’est bien souvent une étiquette "qui fait bien", politiquement correcte, qui prétend attester d’un changement de paradigme là où ce sont de vieux modèles de pensée qui persistent. »

Effectivement, il y a un paradoxe en France, dans le pays de l’inclusion. Car les mots ne correspondent pas aux actes. Le professeur et anthropologue Charles Gardou expose cette supercherie syntaxique :

« L’analyse étymologique de l’inclusion montre qu’il est lié à l’idée d’enfermement, d’occlusion, de clôture, de claustration, de réclusion. C’est sa racine latine, et ces différents usages le mettent en lumière. […] Contenu de cette connotation, ça nous invite à réfléchir. Il semble que l’adjectif inclusif, amplement déclinable (école inclusive, entreprise inclusive, habitat inclusif, etc.) fait davantage sens. […] Et la question que je pose est : Devons-nous continuer à parler par exemple "d’enfant inclus à l’école" ou "en inclusion scolaire" comme si nous devions incorporer des éléments exogènes qui ne procède pas d’un ensemble commun ? […] »

Il apparaît que le vocabulaire de l’inclusion est l’inverse de celui de la participation. On "inclut" parce qu’il n’y a pas "de participation". De même, on parle de "situation de handicap" parfois pour évoquer non pas une situation, mais des caractéristiques personnelles. Tandis que le mot handicap, seul, désigne une caractéristique personnelle limitant une vie normale, à cause d’une mauvaise traduction. En France, dans le milieu de la santé, il y a un problème de vocabulaire.

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   Mauvaise traduction ?

En anglais, le mot "handicap", connoté négativement, fait référence à un facteur environnemental empêchant de remplir un rôle de vie normale. Tandis qu’en France, le mot "handicap" désigne l’empêchement par un facteur personnel. Par cette mauvaise traduction, on voit ici qu’un empêchement peut être produit pour un élément personnel, par un élément environnemental, ou par les deux. Ainsi, il serait logique de retrouver trois mots distincts pour identifier ces situations différentes. Les Anglais l’ont fait, et ils se sont aidés d’un vieux vocabulaire français. Quant à la France, elle n’a rien fait. Elle s’est suffi du mot "handicap" pour désigner toutes les circonstances. Mais cela crée des quiproquos. Par exemple, en anglais, il sera dit qu’un homosexuel qui vit dans un pays homophobe est "handicapé" par l’homophobie. Car c’est l’environnement dégradant qui l’empêche de s’épanouir dans la vie. Mais en France, parce que le mot "handicap" n’a pas la même description, il sera dit qu’un homosexuel est stigmatisé par un environnement homophobe. Et les homophobes diront que les homosexuels sont "handicapés" par leur (caractéristique personnelle) homosexualité. Ce vocabulaire n’incite en rien à la remise en cause du milieu dégradant. Autre souci syntaxique : les Anglais diront que les autistes sont "handicapé" par un environnement maltraitant ou intolérant face à la neurodiversité. Malheureusement, la France retiendra seulement que les autistes sont "des handicapés", imputant ainsi des facteurs personnels aux difficultés de vie des autistes, alors que la science dit le contraire. Les autistes sont stigmatisés par un environnement méprisant et qui leur attribue des incapacités qu’ils n’ont pas ("ne pas comprendre l’ironie", "ne pas savoir regarder dans les yeux", "ne pas savoir communiquer"). Tant de confusions, tant d’erreurs de traduction, tant de malheurs rajoutaient à ce monde pour des mots qui ne correspondent pas à leur usage. Il faut trouver une solution à ce problème de vocabulaire.

Pour combler ces lacunes, la France pourrait inventer de nouveaux mots. Par exemple pour désigner un facteur environnemental empêchant de vivre normalement. Il faudrait aussi un mot pour désigner des éléments personnels et/ou environnementaux limitants. Ainsi, comme avec la CFTM, la France se contenterait de ces mots fondés sur de mauvaises raisons, une mauvaise traduction. Mais, elle peut aussi copier le vocabulaire anglais, proposer par l’Organisation mondiale de la Santé. Des mots inspirés du français, qui n’obligerait pas à en inventer.

Source : Autistes.fr

  • Pour désigner un problème s’agissant d’une structure ou d’un organe du corps (élément personnel), il ne faut plus dire "handicap", mais "impairement".

Exemple 1 : Un aveugle manifeste un impairement visuel.
Exemple 2
: Un tétraplégique a un impairement physique.

Exemple 3 : Une altération du développement intellectuel est parfois liée à un impairement intellectuel.

  • Pour désigner un facteur environnemental empêchant de remplir un rôle de vie normale, il faut dire "handicap" (comme les Anglais).

Exemple 1 : Certains accès à des logements sont handicapants pour les personnes en fauteuil roulant.
Exemple 2
: Une femme enceinte est handicapée par les lieux surélevés ne proposant pas d’escalier mécanique.

Exemple 3 : Les autistes sont handicapés par une société qui les maltraite et les exclus.

  • Pour désigner une limitation fonctionnelle (personnelle et/ou environnementale) en ce qui concerne une activité, il faut dire "déshabilité".

Exemple 1 : Le paléoanthropologue Ludovic Slimak explique que l’Homo sapiens est reconnu pour avoir une déshabilité dans l’activité de création.
Exemple 2 : Le doctorant en sciences de l’éducation et de la formation, Kevin Rebecchi explique dans son livre « La neurodiversité » que les enfants dits "créatifs" ont des déshabilités, parce qu’ils ne rentrent pas dans les cases de l’éducation.

Exemple 3 : « Le concept de déshabilité - pris en compte par l’Organisation mondiale de la Santé - ne met pas l’accent sur les déficits et les handicaps [impairements] qui rendent précaires les conditions de vie des personnes, mais il s’agit plutôt d'un concept inséré dans un continuum multidimensionnel [facteurs environnementaux et/ou personnels]. Chacun de nous peut finalement se trouver dans un contexte environnemental précaire qui peut provoquer une déshabilité. » - Docteur en sciences de l’éducation Hervé Cellier, dans son ouvrage « Spécificités n°4. C’est la crise ! ».

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    Le remplacement ou le re-placement des mots ?

Les Français ont déjà réussi à remplacer les francs par l’euro, et même le minitel par l’ordinateur. Qu’est-ce qui pourrait empêcher la France de retrouver d’anciens mots français, qui plus est adaptés à l’international ? La France pourrait ainsi élargir son vocabulaire, retrouver ses mots, et se conformer au respect de la diversité. Une nouvelle façon de penser la santé émerge, il est donc normal de la faire suivre par un changement de vocabulaire. Mais tant que cela ne sera pas officiel, les confusions et les maltraitances qui en découlent persisteront.

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